Le gong sonnera deux fois

Le voyage

Le vent était tombé, on devait être un samedi pas comme les autres. Un samedi d’après tempête (2016) et d’avant The Third Murder (2017) et on était en 2023. Je rendais visite à tonton Gérard au centre pénitentiaire, lui apportant des oranges, des sanguines, faut les presser, des magazines de cul Allemands, années 70, catégorie tracteurs et bottes hautes, et suffisamment de cigarettes à dilapider en partie de poker pour qu’il me laisse tranquille jusqu’à la saint Léonard, quand j’ai entendu comme le bruit d’un gong en faux cuivre au loin. Vu que j’adore les instruments d’où le son sort quand tu tapes dessus, comme le fils de la voisine, je me suis dirigé par là bas, les narines en l’air, le bermuda remonté, le cartable sur les épaules.

Pour atteindre la prison, il faut déjà aller à Lantau, c’est un peu le Poitiers d’ici. C’est pas si loin que ça, mais y’a aucune raison d’y aller. À Lantau y’a pas le Futuroscope, y’a le Disney Land. Puis après tu prends le bus. Dans ce bus y’a que des vieux riches et leurs fils, qui rentrent du tennis, et des vrai gars du bâtiment, qui sont en train de construire les maisons de vacance des type de tout à l’heure. Ils vont dans des directions opposées. Tu te jettes par la fenêtre au détour d’un virage. Et tu marches le long de la route.

Le bruit du gong provient d’un centre lointain de Yoga pour riches mécènes. Du genre que c’est gratuit de rentrer si t’as les poches pleines. Moi j’ai pas de poches dans mon bermuda. Autant te dire que j’y était pas le bienvenu. Mais juste en contrebas y’avait un complexe écolier.

Je fais le tour, à la façon d’un braconnier autour d’un collet à lapin plein, j’analyse le danger, je tournoie tel le vautour. En vérité y’a pas de danger, et je mange pas de lapin. C’est tout sec. Je sautille sur les cailloux qui parsèment la rivière du fond de la cour. Je rentre par le terrain de basket, le grillage y est découpé comme dans un cartoon. Y’a encore un vieux ballon dégonflé au milieu d’un terrain en bitume qui rappe les genoux à travers le jean quand t’es goal volant. C’est bien la première fois qu’on m’invite sur un terrain. Mais là je me suis un peu invité tout seul, mais tout de même.

Le grillage est facultatif, il faut traverser les rapides
Le grillage est facultatif, il faut traverser les rapides

Une école

Cette école, c’était une école pour demeurés en devenir. À 2 pas de leurs perspectives d’avenir. Un truc abandonné spécialement designé pour les sales gosses qui piquent les crayons de couleurs de la maîtresse. Ceux qui t’offrent les cadeaux qu’on leur a donné à leur anniversaire. Jimmy qui grimpait au grillage sur le mur derrière le panier de basket pour aller chercher les ballons chez la vieille. Il savait rentrer son ventre tellement derrière ses côtes on aurait dit un Gibdos. Le mur avait des trous à sa base, on y jetait nos billes comme on jette des billets sur une demie strip-teaseuse au deuxième étage de Nana Plaza. Dans les deux cas, on les jetait de loin, de derrière la rigole qui traversait la cour de récré, depuis l’autre côté de la grosse baignoire, dans laquelle les tatouages s’agitent pour faire mousser le Tahiti douche.

Elles viennent des fermes, elles viennent de la campagne, je leur ai demandé, elles savent pas jouer à la tiquette. Les types qu’il fallait aider à finir leurs additions avant de partir à la récré, et après ils trichaient en dépassant le caniveau. Ceux qui avaient pas de bons points à la fin de la journée. Tu vois le genre? De ceux qu’il faut faire passer à l’échafaud, à défaut de passer au tableau.

Les gosses, que les vieilles bourgeoises elles paradent pas à leurs soirées bingo. Je me demande ce qu’ils y font là bas, je suis jamais invité.

L’établissement se résume à peu de choses. Une architecture à base de pont, de couloirs et raccourcis qu’on dirait un niveau de Dark Souls sur NES. Un design tellement futuriste qu’aujourd’hui c’est rétro, comme mes slips. Un calendrier qui date de 2019 sur le mur de la piaule du directeur, il a le droit à un faux foyer de cheminée et une baignoire pour demi-personne. Des dessins de nazi sur les murs. Ou de pokémon. Une chenille sous crack, avec des chicots d’où les gamins de l’époque avaient pas de choix que de s’y pendre. Trop de prises au mur, trop de prises au sol, on est pas au judo ici, expliquez moi depuis quand on a besoin d’électricité pour apprendre la trigonométrie. Et dehors c’est la jungle, c’est fou la vitesse à laquelle la nature a re-bouffé le bordel, pareil que moi après que je vomis les céréales dans le bol.

J’ai laissé une statue parce qu’avant tout je suis un créatif. Y’avait un caillou, j’y ai posé un extincteur. Y’avait pas de feu, y’avait juste un caillou.

Aujourd’hui il reste que des fenêtres à barreaux, le coin jardin, un paquet de clope vide dans les toilettes, et les stations branlettes du jardinier. Le type est un chirurgien, gant de latex, bouteille de 2 litres Nivea.

Dans chaque recoin sombre, on retrouve seulement des cimetières à papillons, des longues toiles d’araignées abandonnées par leurs maîtresses, des fois un graffiti sans assurance, des éclats de peinture Saint-Macloux, et un autel au stupre, érigé par le jardinier. Chaque pièce, chaque toit, chaque corridor à l’abri du vent, c’est la même chose: gant de latex, bouteille de 2 litres Nivea.

Au milieu de la jungle, alors que les plantes grignotent une table d’écolier dont les échardes se gondolent vers l’humidité. Plus de contrôle de maths, plus de JTM Jessica au blanco, plus de tâches de stylo plume. Seulement, gant de latex, bouteille de 2 litres Nivea.

L'inspiration, comme le jardinier sur sa chaise, ça vient d'un coup
L'inspiration, comme le jardinier sur sa chaise, ça vient d'un coup

Les archives

Cette école, elle a une histoire ordinaire. L’histoire de tous les bleds de Hong Kong, perdus dans la jungle, avec à peine l’accès à la route.
L’histoire commence en 1965. Les gamins asiats, ils sont plus malins qu’en Europe. Mais c’est comme partout, il y en a toujours quelques-uns qui mangent les crayons par le mauvais bout.

Ceux-là, on les parquent chez Tung Wan Mok Law Shui Wah School. C’est loin, il n’y a rien à foutre, mais on peut au moins les oublier jusqu’au weekend.
Puis, les profs en ont eu marre de bosser au milieu de la jungle. Pas de supermarché, pas de transport, pas de biere, pas de femme. C’est un boulot de pirate, mais il y a meme pas de rhum.

En 2019, l’école est déplacé à Tuen Mun. Les pécores de Tuen Mun râlent. Parais que les gosses prennent de la drogue et couchent entre eux, et ça va foutre le border.
Ça a l’air plus marrant que mon college. Moi, il se passait rien, sauf quand le gros George s’est étouffé avec les boulettes de maizena qu’il gardait dans ses poches. Lui aussi, on aurait dû le foutre chez Tung Wan.

Pour les mangeurs de crayons, il faut de l'autorité allemande
Pour les mangeurs de crayons, il faut de l'autorité allemande

Maîtres Yoga

En rentrant dans mon 9 mètres carré, j’y suis allé sur internet pour me renseigner de comment on rentre dans le gang du Yoga de dessus la colline qui surplombe le lieu de congrégation des fantômes de petits crétins, et de ce qu’on y fait.

Les règles y sont strictes, pas de pain au chocolat, pas le droit de parler, pas le droit de faire des signes aux copains, pas de baise, pas de mots croisés, pas de clope au petit déj, pas de bière non plus, pas d’album de Tintin, mon favori c’est vol 747 pour Sydney, mais c’est étrange je me souviens plus de l’histoire, pas de chaussons, ni aux pommes, ni aux pieds, pas de musique sur ton mp3, pas de branlette, pas d’internet, pas même le JT, pas de dessin de Britney sur les murs, pas de joie, pas de rab de choucroute, pas de pause café, pas de bain de minuit, pas de pensée, moins encore j’entends encore ton dialogue interne, pas de balle de tennis qui rebondit contre le mur de la cellule, pas d’expression du visage, pas de duvet Drouault, pas de montre Casio pour t’indiquer l’heure, moins de 1000 calories par jour, t’as même pas le droit de t’évader, pas de clope le soir, pas de copinage, pas de bagarres de beyblades, pas de networking en fin de réu, pas de sport ni d’exercice, pas de barre chocolaté au fond des poches.

Juste le gong.

Le gong qui rythme tes journées, pomme, Yoga, ennui. Si c’est la deuxième fois que tu viens, tu peux oublier la pomme.

Le tout 10 jours.

Et les gens en redemandent, comme moi des pâtes à la cantoche. Quand la grosse cantinière m’en ressert une louche des macaronis moites, je suis un peu trop excité, je trépigne, le plateau repas vibre, mon verre Duralex gigogne taille enfant, saute, rebondit sur le sol, une fois, deux fois, trois fois et enfin explose en milles shrapnels en directions des chevilles à chaussettes grimpantes. D’abord le petit Michel, se lève et applaudit, puis le reste de la 6ème Victor Hugo, ma vie qui me défile devant les yeux, l’opprobre qui s’abat sur mes épaules, mes pieds qui saignent.

Quand on est Vipassana c’est à la vie à la mort.

Le filet dans le lit, ça capture les mauvaises ondes
Le filet dans le lit, ça capture les mauvaises ondes

La bière

Celle-ci avait le goût de mousse entre les dents de quand t’as été mordue par le renard en mangeant les framboises du bas. C’est ce genre de bière qui se déguste à température ambiante chaude, quand l’humidité aérienne équivaut à celle de dedans la canette, les bulles en moins. Elle rappelle au goût la sensation de lécher une baramine du fond du grenier. Un petit arrière goût de pile, un petit soubresaut de l’estomac non averti. Une couleur pisse de glomérulopathique supplément asperges. Au final c’est un meilleur moment qu’un AVC pendant le repas de Noel.

La bière de profil, ça fait tout de suite moins clodo
La bière de profil, ça fait tout de suite moins clodo

L’historique

Maman, elle me dit toujours de pas regarder l’historique de tonton touche-touche

https://sense.edb.gov.hk/en/special-education/features-of-special-schools/8.html
https://www.dhamma.org/en/schedules/schmutta

Les images

Les coordonnées

22.2230531,113.9057973

La note

Méditation solitaire
Gaspar Canette