Sexe, Yoga et Banqueroute

La maison

J’auscultais comme à mon habitude une maison de bourgeoise, à mi-chemin entre le cube de bouillon et le broc d’eau Arcoroc.

Du genre grandes fenêtres vue sur la mer et procès en cours. Petit esprit ravalement de façade façon burin et pointerolle par les zouaves du gouvernement. Un mur en brique pour dissimuler la chambre. Un jardin zen sous un escalier Hol en Bol. Des peintures de propagande comme si on était à Kaliningrad. Une piscine creusée à même la roche sédimentaire, à 40 centimètres de la mer, sans pour autant la toucher. Parce que quand on est riche, on peut se payer l’océan sans le sel et sans l’odeur de pisse de poisson.

C’est une maison en forme de cube à cocktail perchée au bout de la montagne, face à l’océan, avec pour seuls voisins, des exilés fiscaux à comptes à 10 chiffres.

Pour y accéder, c’est pas compliqué, il faut franchir la montagne à pied, tu traverses les villages dans un ordre croissant de richesse. D’abord les prolos, qui jouent en équipe aux dominos sur la place rudimentaire d’un village rudimentaire.

Puis chez les riches, qui vivent tous dans des maisons copiées les unes sur les autres, toutes orientées face aux flots lointains. Ou face à une autre maison de riche, construite plus tard, pour leur chiper le panorama, en attendant de se le faire reprendre par une prochaine maison de fortuné, construite devant, n-ième édifice dans une farandole de villa qui finira fatalement dans la flotte. Dans ce genre de maisons, t’y habites quand t’as les moyens de te payer un chauffeur, parce que y’a pas de bus. Y’a pas de bar-tabac, y’a pas de supérette, y’a pas de boulangerie ni de bancs publics. Y’a juste un terrain de tennis, entouré de grillages. Il faut une clef pour rentrer.

Et enfin, en tout dernier, les encore plus riches, ceux qu’ils ont leur propre plage, leurs propres bateaux, des lustres Swarovski, des dizaines de chiens, et plus de mariages que mon oncle Dennis.

Parmi ceux-là, moi, je rends visite à Margaret Chiu.

Une maison qu’on dirait un mille-feuille blanc de chez Anne-Sophie Pic.
Une maison qu’on dirait un mille-feuille blanc de chez Anne-Sophie Pic.

Margaret

La petite Margaret avait fait fortune au début des années 2000, dans le business juteux du mariage, du remariage et des parents bourrés de pognon.

Margaret, c’est la fille de Deacon Chiu. Deacon, il était de Shanghai, mais il a fait fortune à Hong Kong. Des fois il était sympa, comme quand il construisait des cinémas, ou le Lai Chi Kok Amusement Park, à mi-chemin entre Jurassic World et le cauchemar la veille du contrôle de français. Des fois il était pas sympa, comme quand ses employés doivent compter leurs feuilles de papiers toilettes. Ça me rappelle le Covid. M. Chiu, il était en avance sur son temps.

Deacon il avait aussi un passe-temps, c’était de faire des gosses entre 2 réunions, gros cigares et cravates mal taillées, et de leur filer des noms en D comme dynamite, comme dollars et surtout comme Deacon. Avant de casser sa pipe d’une chute de tension comme ça arrive au fond des chiottes d’une maison Orpéa, il a quand même eu le temps de nous sortir une belle séquence. On a eu le droit à Dick, David, Dennis, Daniel, Derek, Desmond, Duncan … et Margaret.

Margaret, elle adore les canidés qu’elle possède en plus d’exemplaires que moi de dents, le yoga tantrique façon Samadhi, les fringues Dior, le faux marbre de mauvais goût sur les murs de la salle de bain, l’art moderne quand il faut pencher la tête, et se marier.

Mariage 1
Tan Wai Kee, on a pas d’info. C’est comme les ingrédients de la Perlembourg de Lidl. Mais c’est probablement pas le même goût.

Mariage 2
Chris Piche, c’est le second époux. Il est canadien. Un mari exotique, c’est comme un voyage mais sans prendre l’avion. M. Piche est un futé, il est rentré à l’université a 13 ans pour faire de l’informatique. 13 ans c’était l’âge du voisin quand je lui ai fait manger du plâtre. Tout le monde est pas destiné à marier une débiteuse de haut vol.

Après, il s’est mis en affaire avec Stanley Ho. Ho aussi est futé, il a fait fortune dans les casinos à Macao. En les construisant, pas en jouant à la roulette ou au Sic bo. Le Sic bo c’est trop chinois, je comprends seulement après trois verres de baiju sans bulles, et la roulette je perds quand c’est vert. L’équipe des futés construit en 2000 la première plateforme de casino sur l’internet. Comme ça les riches chinois peuvent perdre depuis chez eux au lieu de perdre sur place.

Des fois pour sauver son mariage, il faut faire preuve de flexibilité
Des fois pour sauver son mariage, il faut faire preuve de flexibilité

Les procès

À la suite du décès de son père et de dépenses colossales dans le business de la faillite, Margaret Chiu fut propulsée vers le dépôt de bilan saveur Pepsi Philippin sur fond de Burt Reynolds sur une peau d’ours.

Même si sa passion pour les affaires dépassait de peu sa passion pour le Yoga, le business c’est compliqué, et Margaret elle est plus douée pour le chien tête baissé que pour les pièces de monnaie.

Heureusement, M. Chow Kam Wah (“Chow”) et Mr Law Kwan Yin (“Law”) aiment bien les maisons bouillon-cube, et offrent un premier prêt hypothécaire de HK$70 million en 2017. Ça fait un paquet de saucisson marque repère, si mes comptes, eux, sont bons. La faillite étant plus grosse que prévue, Margaret reprend un second prêt hypothécaire en 2017, puis en troisième avec Chow et Law, suivi par un quatrième et cinquième en juin et juillet 2018. Normalement, quand ça ne marche pas, il faut s’arrêter. Après c’est comme les abalones. J’aime pas ça, mais à chaque fois je goûte pour faire plaisir. J’en suis à ma tentative numéro 6.

Chow et Law, ils aimaient bien la baraque, mais ils préféraient quand même l’oseille qui sonne et qui trébuche. Margaret, elle avait une maison, mais plus d’argent. L’argent c’est plus pratique parce que ça rentre dans la poche. Mais ici on a pas plus de poche que de choix.

Le premier mari, il a senti l’appel de la banqueroute, et il est venu participer. Les gens friqués, ça s’occupe comme ça peut. La moitié du cube (ça fait 50%) était à son nom apparemment. Après, c’est des histoires de rupins, c’est toujours plus compliqué. La maison elle appartenait à une société, et la société elle appartenait à Margaret. Mais le premier mari, il avait quand même un peu droit à la maison, mais que pour la vente, pas pour y habiter. Je t’ai dit c’est pas simple. Je te tutoie mais si ça se trouve vous êtes pleins.

Maggy la crapule, elle avait signé tous les prêts de ses propres doigts. Chow et Law n’étaient pas au courant du mari. Ils étaient venus visiter pourtant, mais Margaret avait remplacé les deux maris par un homme de ménage, quatorze chiens et zéro enfants.

Le procès a duré longtemps, comme quand j’attends que mon coca ait plus de bulles. Maman disait que c’est mieux pour les mals de ventre, les occlusions intestinales et les diarrhées. Mais Chow et Law avaient l’air honnête, alors ils ont gagné. Et pis ils boivent pas de coca, c’est pas bon pour leur diabète. C’est eux les patrons du cube maintenant

Finalement, Margaret se retrouve sans demeure, sans le sou et avec douze cabots. Tel le monsieur qui pue et qui s’enfile des blue light au coin de ma rue en écoutant de la musique bien ciselée de son poste de radio tout en roule-bidonnant. Dans sa poursuite de la voie du punk à chien, Margaret décide de déménager dans la cave située sous le jardin, façon tirage de cable et siphonnage d’électricité. Après ça reste une cave de riche avec salon, salle à manger, chambre en suite et gogues en platines. La richesse c’est bien, on peut faire les choses proprement.

Malheureusement, Chow et Law préfèrent le jardinage à la compagnie de Margaret et ses onze molosses dont j’ignore les couleurs, les noms et les préférences alimentaires. Margaret est forcée par le gouvernement de quitter son donjon. Ça ressemble à l’éviction de mes voisins bulgares, si on remplace les chiens par des gosses.

La maison est vide maintenant. Le gouvernement de Hong Kong a saisi le jardin. À Hong Kong le terrain ne s’achète pas, ça se loue. Comme les robes de mariées pour les pauvres. Il y a même un panneau du gouvernement dans le jardin, comme ça c’est officiel et Margaret et ses clébs ne peuvent plus revenir. Les chiens ne savent pas lire, mais Margaret oui, donc elle leur expliquera.

La banqueroute est un sport individuel
La banqueroute est un sport individuel

Le jardin

En quittant la propriété sur les coups de 18h12 précisément, je remarqua, comme une extension de derrière la palissade de fond de jardin.

Gardé par des caméras sans piles, un grillage probablement pas électrique dont personne ne paie les factures, et un signe qui intime fermement de ne pas rentrer il y avait une extension.

Une énorme esplanade, grande comme le parking d’un Jardiland de banlieue de Poitiers, qui surplombait une mer qui commençait tranquillement à s’assombrir de la nuit qui tombe comme les papiers de la banqueroute sur la table en plexi de la cuisine.

Creusée tout autour, une tranchée permettait de désobstruer la perspective en dégageant la végétation vers un mètre plus bas. Cette petite merveille de maraîchage fut un excellent fossé à pisse.

En 2004, Christopher Quiche dit “La piche” avait savamment réinjecté 3 millions de dollars canadiens dans l’édification de ce jardin à la pelouse brossée, aux nombreuses niches à clébards de compèt’ en noisetier (les niches, pas les chiens, eux, ils sont en poils et en odeur de pull mouillé) et bourré de statues à l’exotisme douteux. Promontoire érigé sur la mer dans le seul but de mettre en pratique les nouveaux mouvements agiles de sa nouvelle femme.

Trônait au milieu du jardin, le palanquin de la baise. Un autre cube de bouillon, plus petit celui-ci, comme réduit dans la soupe de la veille de Noël de mes 14 ans. J’avais le nez qui coulait au milieu des croûtons, des lunettes Adadas qui reflétaient vaguement une émission de Patrice Laffont sous la lampe à huile de la cuisine et encore une rouste comme seul cadeau. Ingénierié en inox inoxydable et en bois qui vient des arbres, la boîte à bécote possède des rideaux capables de couper les occupants du soleil suintant de la baie et des jardiniers qui gazonnent aux alentours.

Ce jour-là y’avait plus de jardiniers. Y’avait plus de Chow ni de Law. Plus de garden-party. Plus de soleil passé 19 heures. Plus de brique de lait au fond du frigo. Plus de câblages hasardeux. Plus de tailleurs bar ni de souliers à fond rouge. Plus de piété filiale. Plus de chiens. Plus de Margaret Chiu.

Y’avait comme une odeur résineuse d’opulence passée qui persistait dans l’air comme l’odeur de fromage colle aux rideaux du salon après une raclette.

Y’avait moi, j’avais ma bière.

Margaret peaufinait son yoga. La Piche, lui, pratiquait la baise
Margaret peaufinait son yoga. La Piche, lui, pratiquait la baise

La bière

La Black Beer Stout: Juteuse, moite comme un mois d’août dans les caves de Đà Nẵng, aigre à l’odeur, amère comme la margose au goût.
Une bière au caractère trempé de supplicié de la cale, avec de légères saveurs de peinture à bois et de lendemain de parties de roulette russe, et une sensation persistante de rancune en bouche.

La bière c'est comme le coca, c'est meilleur sans bulles
La bière c'est comme le coca, c'est meilleur sans bulles

Les détails de l’histoire

D’habitude les détails ça me fait mal à la tête, mais ici l’histoire est bonne.

  1. Le pdf du procès de Margaret la fraudasse avec sa maison
  2. Le pdf du procès de Margaret la punk à chien avec son jardin
  3. La photo de la crapule

Les images

Les coordonnées

22.3207384,114.2887462

La note

Pince assise
Gaspar Canette