Jésus contre les robots

Le cheminement

Comme chaque fois que je m’ennuie, je suis parti en direction de l’aventure. Comme on prend la mer, comme on prend un bateau, je suis allé prendre la mer en bateau.
C’était pas le mien, j’ai filé 4 pièces de cuivre à une vieille, comme on filait à l’époque ses écus à Judas. Je parle son langage vaguement comme quand je fais le Karaoké d’une chanson de Garou. Je lui bafouille une dizaine de fois le village dans lequel on était déjà en guise de destination. Elle ris à pleine dents, mais y’en a peu. Mais t’inquiètes pas on arrive à se démerder. Les pièces de cuivre ça lubrifie la conversation.

Une fois l’objectif en tête, elle siffla entre ses doigts qu’on dirait des griffes. Son homme, chapeau sur la tête et gitane aux chicots, apparu de derrière la brume, pilotant un sampan aussi neuf et stable que la seconde république.
Après avoir échangé le magot, je saute sur les quatre planches aux angles épineux, faut avoir pensé à enfiler des chaussettes ce matin. Et c’est partit, on file à environ 4 kilomètres par heure vers les péripéties (En noeud nautique ça va moins vite).

Le moteur de 103 SP pétarade les pieds dans l’eau. Moi je m’hydrate comme le nénuphar au rythme des clapotis du bout de planche. Je fais coucou aux quelques rameurs émérites et hardis qu’on croise. Eux sont en direction de la performance.
On roule sur l’eau, je le sais, je peux la voir à travers le trou scié à même les planches du fond en guise de chiottes. Ça fait toujours drôle de mélanger sa pisse aux fonds marins. Ça me rappelle la piscine, mais j’ai pas peur de me faire prendre.

La vieille me dépose sur un ponton de béton coulé à l’entrée du bras d’une jungle encore méfiante et infestée de moustiques. Au bout de la débarcadère, 4 maisons issues de l’air soviétique qui subissent actuellement un ravalement de façade façon hippie, guirlande de LED, barbecue sur l’esplanade entre copains, cinquantenaires les poches pleines, crépis fait à la main, bétonneuse qui tourne sur un fond de Beyond 海闊天空.

À dégueuler.

Je me mets en chemin, parce que celui-ci est long de 2h30 et que mes pieds sont plats comme les pâtes aux pestos, ou la choucroute. J’aime bien ça, moi, la choucroute. Ça grimpe à travers des talus, ça bifurquent sous les 4 arbres qui ombragent.

Les seuls types que je croise sont équipés comme si ils traversaient la vallée Rolwaling sous le chronomètre de Sébastien Folin. Je te parle de chapeau anti-moustique Homme - TROPIC 900 Kaki de chez Décat, celui avec le filet qui te fait voir le monde en brouillé comme la tv de la voisine. Je te parle de collant à jambe piqué dans le tiroir à bras de Allen Iverson. Je te parle de pompe à 400 balles avec les bulles en plastique sous les semelles. Je te parle de bouteille d’eau en étain et de t-shirt camouflage alors qu’on est pas à la chasse.
Moi avec mon Jean Liddle et ma casquette que j’ai acheté chez le fleuriste j’ai une dégaine de touriste. Ça tombe bien je suis là pour prendre des photos. Et ça me met de bonne humeur.

Et vaut mieux avoir le sourire dans un pays où il fait 34 degrés de température 75% d’humidité à l’ombre tout le long d’une côte bosselée par le soleil. J’ai la tête qui tourne plus qu’un cochon de lait sur une table de dim sum.

À la fin du chemin, les animaux seront là. Je marche vers le rêve fiévreux d’un patron de bar au cerveau amoindri par les gin tonics à vingt dollars. Et ça, ça me donne de la force.

Les toilettes ne sont qu’illusion, tu pisses directement dans l’eau
Les toilettes ne sont qu’illusion, tu pisses directement dans l’eau

Le patron

Le patron, c’est un peu un mystère. On en parle pas trop. Comme mon oncle Gérard, mais lui c’est à cause de la prison. Pour des questions de crimes et de trucs pas trop réglo. Des fois à Noël, il me manque. C’est pas tous les jours qu’on t’offre la bicyclette du voisin.
Le patron, c’est un vrai patron. Un patron d’estaminet, pas de ceux en costume cravate avec les chaussures en croco Bill Tornade qui luisent quand t’y approches le briquet, ceux qui lisent des fichiers tableurs en baisant leur secrétaire sur fond de Charlélie Couture.
Le patron c’est un vrai patron de bar, pas comme les mecs de la DDT qui démarrent la journée au vinaigre en carafe presque couleur vin, pieds nus, 18 degrés, début septembre. Le patron de bar, il possède vraiment des bars.

Le patron, il a fait fortune dans le commerce de l’alcool et des femmes à Wan Chai. Wan Chai, c’est un peu comme Jardiland, c’est là où les vieux expatriés viennent dépenser leurs deniers sur des plantes de qualités variables. Ces mecs-là, ils ressemblent à Bernard Blier époque je l’ai été trois fois, boursouflé du premier jusqu’au troisième menton. La bave et la clope au bec, les poches remplis de billets trempés de sueur, probablement une femme et des gosses cruels au bercail. Ils sont là pour s’enquiller de l’alcool frelaté en mauvaise compagnie. Et la mauvaise compagnie c’est pas ce qui manque. Après ils ont raison, la retraite faut la prendre quand on est vivant.

Le patron, il a le compte en banque plein et les narines aussi. Sa cloison nasale c’est un mélange alcaloïde entre les Alpes Suisses et le gâteau qui pleure de Maïté. Du coup, il se sent chaud pour une petite session shopping décadent à la mode mainlander, chaussures Chanel, montre Chanel, sac Chanel, avec les échantillons de parfums gratos dedans, et caca squat dans le caniveau en sortant.
Les courses sont rondement menées, comme une sortie de fin de mois dans les rayons du Lidl. Deux packs de Finkbrau, des crackers graine de courge et un gros saucisson du Saloir. Pour les fibres. Ça c’est moi, pas le patron. Lui ses mois sont des cercles, la fin ressemble au début.
Le patron procède au pillage des animaux du Rainforest Café, ménagerie complète et prix de groupe. Ses animaux là ne se mangent pas par contre, ils sont en métal et en cables éléctriques, c’est pas comme au Lidl. De toute façon j’ai plus faim après la Finkbrau.

En 2006, c’est l’exil. Un départ avec sa faune vers la baie du grand serpent, dans le but de construire un club de vacances paradisiaque. Le patron pense à tout : bar, restaurant, plage, piscine et bar. Et surout, un nom digne des plus grands, un rappel des années folles : le Club du Capitaine Ours.

Le seul truc qui manque, c’est le métro. Son club il est loin, faut prendre le bateau, et la mer ça mouille. Et les gens savent pas nager. Et à part à se diriger aux étoiles, c’est pas fastoche de trouver l’addresse de nuit. Du coup, c’est la débâcle inévitable et fulgurante, le tout en moins d’un an, comme celle du café Transformers ou du vendeur de chaussettes au coin d’en bas. Un jour il m’a fait payé 15 dollars la paire alors que c’était affiché à 12. Du coup, j’ai fait un laché de cafard dans son caboulot, j’ai appellé les autorités à ma petite sauce délation et j’ai balancé qu’il planquait de la meth dans ses tiroirs, comme ça en passant pendant une partie de Mahjong avec des gros monsieurs tatoués. Du coup je crois qu’à ce jour il est décédé. Et ses chaussettes, elles grattent.

Les bonnes faillites c’est comme le pied de porc, il y a toujours des restes. Le patron laisse derrière lui les bestioles, le café, la piscine, la plage aussi je crois. C’est le retour à Wan chai les poches vides, le pas traînant, et le rêve brisé.

Le rêve du patron est trop grand pour la baie du grand serpent
Le rêve du patron est trop grand pour la baie du grand serpent

Le club

Effectivement, comme tous les bons clubs de la capitale de la Vienne, l’endroit est bourré d’animaux qui pourrissent sur pattes. Des animatronics comme si t’étais dans un film de Spielberg 75-84. Y’a Une girafe avec le coup 50 mètres plus loin en position horizontale de type posé sur le sol. Un singe sans poil qui tient une bière entre ses doigts. Deux éléphants, un moisi plus que l’autre, tous deux à la peau en skye épais comme un épais canapé en skye. La piscine comme dans les films de Las Vegas. Des fenêtres brisées comme à Perpignan un premier mai. Des tags plus frais que la peinture d’origine que l’inverse m’aurait étonné.

Et surtout un énorme Jésus. Un Jésus aux veines d’acier, un Jésus façon Sisyphe qui pousse des cailloux en haut de la montagne, les bras calibre 12 trempés dans l’acier comme on trempe ses McNuggets dans la sauce pomme frite. Jusqu’à mouiller les doigts d’une pointe de honte, le sourire coincé entre malicieux et fautif.
Son auréole c’est un boomerang en casuarina. Il a plus d’abdo que la tablette Nestlé dessert Noir 205 grammes. Sauf que lui il fond pas au bain marie. Il est doré jusqu’à ses orteils plantés dans les fougères de pré salé qui entourent l’endroit.
En somme, il répond à la question “Et si Jésus était tombé dans la marmite de créatine étant jeune peau-rouge”. Je me la pose souvent en regardant l’indien du placard. J’avais la VHS dans le meuble de la droite de la téloche de chez la voisine. Le magnétoscope avait enregistré les films cultes et les vacances en familles des centaines de fois sur la même K7, du coup il fallait plisser les yeux pour comprendre l’histoire. Moi j’ai des lunettes qu’on me les volait toujours, du coup ça change rien. On regardait le film en pantoufles en mangeant des gaufres. Le secret c’est de mettre de la bière dans la pâte. Dans les pantoufles, ça colle aux orteils.

Avec une bière entre les doigts on dirait mon tonton Gérard
Avec une bière entre les doigts on dirait mon tonton Gérard

Le retour

Le soleil tombait comme tonton Gérard après son Whisky qu’il achète 8,49€ en Drive sur le site de Carrefour. J’avais l’impression que le chemin se dérobait sous mes pas, qu’il se resserrait comme ma gorge le jour où j’ai demandé à la petite Monique de m’accompagner à la danse de l’école. Elle avait dit oui à condition que je porte pas mes lunettes. J’ai dit oui, parce que de toutes manières je les ai pas. Résultats des courses je l’ai jamais trouvé, j’ai bu deux limonades et 4 kro, j’ai vomi sur les cheval d’arçons du gymnase et j’ai dormi dans mon casier en faisant le poirier façon chauve souris période Covid.

Je vois un cimetière de bateaux en contrebas. Ça sent la piraterie et les doublons espagnols. Je le contourne en baissant la tête. Les corsaires j’aime bien, mais de loin. Ceux-là c’est des mauvais du fond, et ils parlent pas ma langue en plus.

Je continue à marcher. Il y a personne sur la route, et le chemin est long comme une journée de boulot avec une gueule de bois d’après bol de Blue Girl. Heureusement, ça finit par finir. Le chemin, pas la bière. Ceci dit, la bière, je la finis toujours, mais je suis moins heureux quand c’est la fin.

C’est seulement en sortant, quand j’ai vu le panneau attention glissement de terrain faut pas passer par là petit incongru, que j’ai fait l’addition mentale dans ma tête.

C’était comme suivre la côte à la manière des contrebandiers de la belle époque où on contrebandait encore des trucs plus glamour que les ormeaux Sud-Africains. Je sais pas moi, des plumes de cul de perroquet et des bijoux volés à de riches Castafiores. Y’avait du prestige, y’avait du mystère.

Les suggestions du gouvernement, je me torche avec
Les suggestions du gouvernement, je me torche avec

La bière

Classique parmi les classiques. Peut-être LA bière à l’origine de toutes les autres.
Le carburant pour la construction des pyramides égyptiennes.
Un goût précis dans un flou stérile comme un télescope Omegon AC 60/700 AZ-1 pointé vers le néant qui sépare Epsilon Aurigae A et sa sœur la B.
Un degré d’alcool aussi approximatif que ma déclaration d’impôt.
Une bulle qui reste en surface comme un canard en plastique pendant la kermesse.
Un graphisme pur, en deux couleurs, dont seuls les meilleurs sont capables.

Une qualité de tout premier ordre.

Une bière aussi légère que la feuille de papier toilette flottant au vent
Une bière aussi légère que la feuille de papier toilette flottant au vent

Les sources

Les sources ça donne de l’eau fraîche.

  1. Les sources dans la langue des pirates
  2. Les sources d’un collègue

Les images

Les coordonnées

22.355687,114.3417085

La note

Biceps de Jésus
Gaspar Canette