Indiana Jones et les sniffeurs de colle

L’ouverture

Ce matin, j’avais soif d’aventure, pas de café, et pis mes bières de petit-déj ont disparu dans la caisse de la veille. Mais il me reste encore une canette de jus d’ormeau, de celles avec le gros monsieur avec son gros pouce et sa toque. C’est un peu comme avaler une vésicule biliaire en saumure, quand j’ai le choix d’habitude j’essaie d’éviter.

Maintenant, j’ai plus soif, mais j’ai encore envie d’aventure. Je passe rapidement en revue l’unique option que j’ai. On va prendre le batobus, on va retourner à l’école. La première fois c’était pas trop bien passé. Rapport à ma note en géo quand je m’a pris la caloche gauche à mon oncle en voyant mon bulletin. Tonton Gérard, il a déjà pris le bateau à la maison. Sauf que c’était pas un bateau, c’était sa DS 21 vert Charmille braqué en fin de 5. Et c’était pas exactement à la maison. Il a voulu traverser le lac avec. Pour aller de l’autre côté. Celui où il y a le PMU. Tu peux pas le louper, c’est le seul endroit où ils ont eu le budget pour l’éclairage public. Je sais ce que tu penses, sa voiture c’est pas le bac de Jumièges, sauf indication contraire, ça peut pas flotter. Mais là le lac il était gelé, alors ça roule, parce que c’était une indication contraire. Pas suffisamment que ça roule d’ailleurs, la glace elle a craqué. Ou bien tonton Gérard il est trop gros, on a jamais su. La voiture, elle a coulé, mais pas tonton. Le vendeur de Perlembourg, il dit que c’est grâce à lui, parce que la Perlembourg ca flotte, et que tonton il doit en être fait au moins à 28%. Mais vu qu’il était justement en chemin pour la pinte de 9 heures 30 j’ai un doute.

Il faut prendre deux bateaux, un officiel et un officieux. L’officieux je sais pas trop comment ça se passe, mais je vais me débrouiller. J’étais le plus gros dealer de pog dans mon quartier, négocier un sampan ça doit être une part de sponge cake en comparaison. J’aime pas trop les sponge cake, mais je me suis toujours dit qu’avec un nom pareil ça devait pas être bien difficile à faire sortir du four. Moi je préfère les chouquettes. L’officiel, les horaires sont disponibles, c’est facile, mais je suis en retard et il faut que je coure pour pas être en retard, alors je cours. Maintenant, j’ai encore soif.

Le trajet se passe bien. J’avais prévu un sac en plastique de type magasin Mammuth, mais j’ai pas rendu. Je suis surpris parce si je me souviens bien, on avait retrouvé de la bille dans la boîte à gants de la DS. C’était peut-être pas une histoire de vague. De toute manière, la mer est calme. En sortant du bateau-mouche, je louche aux alentours pour chercher mon prochain moyen de transport. Mon regard s’accroche sur la jetée voisine.

Il y a une pelletée de vieux sur des sampans, ils jouent aux dés, ils réparent des parapluies à coup de machette, ils jettent des regards mauvais sur les touristes qui se baladent, cherchant leur prochaine proie. J’en vois un cracher un mollard dans l’eau, ça pétille au contact, comme un aspirine dans la chicorée. C’est des vrais ceux-là. Je déglutine, j’avais tort avec mes histoires de chouquettes, ça va pas être facile. Ça me rappelle mon pog Tortank, celui de chez Pokémon, je l’avais échangé contre cinq calots au lieu de sept. Ma réputation était dans les chaussettes, j’avais dû sonner des gueules contre ma main gauche. Depuis, j’ai le visage du petit Grégoire imprimé entre les métacarpes, et 6 heures de colle. Je tâte mon magot dans ma poche. J’ai les moyens de marchander.

Je m’approche, et je repère la vieille la plus petite du groupe. Elle a l’avantage de l’expérience, mais je suis avantagé dans le sens de la hauteur. Les regards s’accrochent; je lui demande si elle peut nous contrebander vers l’île voisine. Elle se tourne pour jeter un coup d’œil au chauffeur de sampan. Lui tire sur sa cigarette comme sur un werthers original et hoche lentement la tête. Elle me dit que c’est bon, dans un cri à mi-chemin entre un vin chaud de Noël et le chien pris la patte dans un piège à collet. Moi, la fixant loin entre les deux yeux, je prends une grosse respiration de Jean Reno dans le grand bleu, et d’une voix solide comme la roche du cap d’Ailly, je lui dis que je vais manger d’abord. De un, j’ai faim, de deux, c’est une technique de négociation du GIGN que j’ai lu dans Picsou magazine. Tu prétends que tu es intéressé, puis tu vas manger du crabe. D’ailleurs dans le film, c’est lequel le grand bleu?

Elle acquiesce de la tête. Je replie l’Opinel dans ma poche.

Le parapluie c'est pour la bagarre, il faut qu'il ait la bonne longueur.
Le parapluie c'est pour la bagarre, il faut qu'il ait la bonne longueur.

Le trajet

Je m’installe dans l’un des cafés du coin, hors de la vue de la jetée des vieux impitoyables. Je commande des trucs aux serveurs, faut s’égosiller comme d’habitude, il est tout sourd, mais bon, les fruits sont frais, on est près de la mer.

Je me balance sur ma chaise, deux pieds en l’air sur le rythme d’un son de Licence IV. Comme au bureau quand l’oxygène est moite et que les clients sont rares, j’ai les gouttes de sueur qui perlent au niveau des mollets, ils descendent lentement et finissent par mouiller la chaussette. J’y découpe des évents au niveau des orteils avec les ciseaux de Danielle des ressources humaines pour aider à la respiration. Lorsqu’une énorme bouteille de Blue Girl apparaît dans ma vision périphérique gauche, portée par une serveuse elle-même déguisée en cannette. Je tourne la tête plus vite qu’une Tita de l’Amazonia qui voit un jeune gweilo entrer les yeux envahis de peur, et je lui fais le signe de la victoire. Elle me dépose deux bouteilles sur la table. J’aime quand les négociations se passent correctement.

Je me sers un verre, et la femme-cannette a disparu. Ça arrive, à Hong Kong, ils ont des fantômes. Mon collègue partage son appartement avec un fantôme suceur de pine, du coup, je suppose que celle-là c’est l’esprit de la bière discount. C’est un bon présage pour l’aventure, mais faudra quand même offrir un flash de Baiju avec mon fagot d’encens lors de la prochaine prière. Et que je rende visite à Boris un de ces quatre.

Je retourne vers la vieille, qui me reconnaît. Elle a bien mijoté dans son jus de soupe, les pourparlers s’annoncent donc en ma faveur. Elle me demande deux cents dollars, c’est environ six fois plus que je pensais, ce qui est raisonnable. Vu que je suis pas venu là pour me faire avoir, donc je lui donne deux billets de 100 balles et on en parle plus. Et son sampan démarre en crachant des flaques de pétrole frelaté dans la baie. Je retire mes binocles pour ressentir un véritable sentiment de vitesse. On se faufile entre les bateaux immobiles du vieux rade jusqu’à une jetée vide, de l’autre côté du port. Je sors ma boussole, on est parti plein Est, mais j’ai regardé en avance, l’aventure, c’est plein Nord. Mamie me fait signe de descendre, mais moi j’ai pas envie, j’ai l’esprit qui tourne comme pendant un contrôle de multiplication, elle va me siffler mes deux cent shekels si je me laisse faire, et sans son navire, l’aventure il faut nager pour y aller. Moi je suis pas plein de Perlembourg comme tonton, je suis plein de Blue Girl.

On renégocie avec ferveur, je crois bien connaître une autre technique à mettre à profit. Celle-là, je l’ai vu dans un épisode de strip-tease sur les esprits de la forêt. Pour les faire venir, il suffit d’y croire. C’est deux cent dollars de plus pour changer de destination. Je serre les poings dans les poches comme avant une castagne de bar façon Bagarres au King Créole, je ferme les yeux, j’invoque les farfadets. D’un côté, c’est doubler un tarif déjà indécent imposé par une grand-mère au crachat facile, d’un autre côté, il faut bien qu’elle me ramène, comme après l’école quand papa il travaillait trop tard avec sa secrétaire. Moi, j’attendais seul, assis sur l’ armoire électrique de distribution, la nuit tombe donc c’est pas facile de bien voir les Pokémons sur le Gameboy, et de toute manière j’ai plus de piles. Sinon je pourrai rester dans la jungle et vivre comme un bandit des temps anciens. Je suis certes bon à la chasse au collet, j’y ai choppé un clebs Noël dernier, mais mes chaussettes ont des trous, comme des Geox. Je paie, et le sampan repart vers le nord.

Mamie est bien trop puissante, pour elle, je ne suis que bleusaille.

Mamie me barbote. Moi je me laisse faire, ce sera moins douloureux.
Mamie me barbote. Moi je me laisse faire, ce sera moins douloureux.

L’escroc en chef

D’après les statistiques, tous les gosses de primaire s’embouchonnent de la glu au fond du nasopharynx. Tous les collégiens se barbouillent de kétamine. Tous les lycéens trempent dans les lettres de l’alphabet de ton lecteur CD qui joue un album de Lorie ; le tuner est cassé malheureusement. Il faut donc les punir, en les envoyant dans la jungle à soulever des poids comme des vrais gens sobres.

En 1985, les Chrétiens ont donc décidé d’ouvrir le Poudlard local, sur une île, au-dessus de chez mamie. C’est le gouvernement qui paie. Mais y’a pas de magie en dehors de la poudre.

Et ils paient pas assez, et ça, ça emmerde Alman Chan Siu-cheuk et ses potos, Jacob Lam Hay-sing, et l’ancien directeur, Chan Yau-chi. Donc, pour se payer des retraites correctes, ils font appel au don et à la fraude. 50 millions de dollars de Hong Kong dollars pour être exact. La police ferme l’école, Alman et ses copains fuient le pays, et les gosses sont relâchés dans la nature. Parfois, la nuit, on les entend rire dans la forêt.

Quand tu ajoutes tous les pourcentages des drogues ça fait plus que mille
Quand tu ajoutes tous les pourcentages des drogues ça fait plus que mille

L’école des enfants de la drogue

Le sampan arrive en vue d’un énorme rocher avec une croix gammée. C’est l’entrée du culte, on va faire des pieds-bouches contre des nazis, façon Indiana Jones, tant qu’il y a un chalice à la fin ça me va. Après avoir remis mes lunettes, c’est juste un gros symbole chrétien bizarre de type croix, sans grand intérêt, mais faut que tu suives, alors je mets de la tension dans l’histoire, comme il faut mettre du beurre dans les épinards, et des crocs de sucre sur la chouquette.

J’entre dans la jungle, mais je me méfie, il y a avait des enfants drogués avant, ils sont ptet encore là cachés à l’ombre des cocotiers. Ça me rappelle le Vietnam, je regarde là où je mets les deux pieds avant de marcher, et je chante pas de Claude François au Karaoké. J’avance dans des bâtiments désaffectés, c’est un vrai bordel, pas celui où tonton, il va le jeudi pendant sa pause dej, plutôt celui de ma chambre, avec des legos partout. Il y a de tout ici, des instruments qui font de la musique quand on tape ou on souffle, les haltères originales de Bill Kazmaier avec des poids en béton, plein de médailles comme ça tout le monde est gagnant, une cuisine gigantesque, des têtes à perruque pour donner des coups de ciseaux, des montagnes de PQ, des posters de Tom Cruise le meilleur, des photos sur les murs des petits junkos, un parc à huîtres, parce que y’a pas plus rédemption que d’adopter un mollusque, des frigos dehors, une Playstation 2 dans des cahutes construites en tôles ondulées, du matériel de Ping Pong, des falourdes de merde. Quelle bonne condition que celle de gosse toxico.

Et derrière, au fond, un bâtiment tout neuf tout blanc, avec plein de panneaux solaires tout dessus. Ça luit plus que la bande de copains chauves à tonton quand ils prennent des bières sous le lampadaire du village. C’est les salles de classe, avec des grilles de radiateur aux vitres pour pas que les enfants kétaminés s’échappent au ralenti par la fenêtre. Je regarde les tableaux, c’est plein de mots compliqués, pourtant, je suis malin, mais là, il y a plusieurs couleurs, ça me distrait les yeux.

Alors je grimpe sur le toit, je m’assois, et je laisse mon regard vaguer au-dessus de la mare d’eau stagnante.

Les chrétiens sont partis, moi, je suis revenu.

Faut pas regarder le rocher trop longtemps, ça colle des malédictions malaisantes.
Faut pas regarder le rocher trop longtemps, ça colle des malédictions malaisantes.

La bière

Un classique pour les doigts salés de vieilles cacahuètes.
La bière des soldats carolingiens avant la guerre avec les Saxons. Quand les Carnyx laissaient un goût de laiton au fond de la gorge.
Comme une saveur solide de matin de chantier. Comme un parfum de vendeur de fruits de mer séchés. Un mélange singulier de briques, de mégots à peine achevés, de crustacés à métaux lourds, de lendemains qui chantent la migraine, de dernier souffle.
Une bière habitée par les spectres.
Une bière des possibles, du lointain et du vague.
Une bière qu’on boit par opportunité, pas par choix.
Un compagnon pour l’aventure.

Une bière de solitaire, tiédie au panneau solaire sous un soleil de jungle
Une bière de solitaire, tiédie au panneau solaire sous un soleil de jungle

Les faits

Les faits c’est dans Columbo, quand il arrête les méchants

  1. Le pdf des statistiques des drogués
  2. L’histoire en pas trop longue, dans la langue des Angles
  3. Le scoop de l’arrestation du fraudeur
  4. L’escroc se défend

Les images

Les coordonnées

22.227281048403682, 114.01141138575404

La note

Glue UHU
Gaspar Canette